Nietzsche : « ‘‘Bon et méchant’’, ‘‘Bon et mauvais’’ » – Grain de philo #11

 

Dans ce Grain de philo, on discute de la première dissertation de la Généalogie de la morale de Nietzsche : « ‘‘Bon et méchant’’, ‘‘Bon et mauvais’’ ».

Toute cette partie de la Généalogie de la morale est en fait déjà condensée dans le §260 de Par-delà le bien et le mal. Ce paragraphe (assez long et que vous pouvez trouver en entier ici) commence par poser ainsi deux types de morale :

Nietzsche187a1.jpg« Au cours d’une excursion entreprise à travers les morales délicates ou grossières qui ont régné dans le monde ou qui y règnent encore, j’ai trouvé certains traits qui reviennent régulièrement en même temps et qui sont liés les uns aux autres : tant qu’à la fin j’ai deviné deux types fondamentaux, d’où se dégageait une distinction fondamentale. Il y a une morale de maîtres et une morale d’esclave. (…) Les différenciations de valeurs dans le domaine moral sont nées, soit sous l’empire d’une espèce dominante qui ressentait une sorte de bien-être à prendre pleine conscience de ce qui la plaçait au-dessus de la race dominée, — soit encore dans le sein même de ceux qui étaient dominés, parmi les esclaves et les dépendants de toutes sortes. »

 Par-delà le bien et le mal, §260

Le premier épisode traitera donc de cette « morale de maîtres » dont on verra qu’elle oppose les bons aux mauvais ; tandis que le second épisode traitera de la « morale d’esclave » opposant cette fois les méchants aux bons. Tout ça selon Nietzsche, bien sûr.

(Pour les citations de la Généalogie de la morale j’utilise la traduction de l’édition GF.)

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Episode 1 : La morale des winners !

 

 

Voici les passages du premier traité de la Généalogie de la morale cités dans la vidéo :

« Il est pour moi évident en premier lieu que cette théorie cherche et place le véritable foyer du concept ‘‘bon’’ au mauvais endroit : le jugement de ‘‘bon’’ ne provient nullement de ceux qui bénéficient de cette ‘‘bonté’’ ! Ce sont plutôt les ‘’bons’’ eux-mêmes, c’est-à-dire les nobles, les puissants, les supérieurs en position et en pensée qui ont éprouvé et posé leur façon de faire et eux-mêmes comme bons, c’est-à-dire excellents, par contraste avec tout ce qui est bas, bas d’esprit, vulgaire et populacier. À partir de ce sentiment de la distance, ils ont fini par s’arroger le droit de créer des valeurs et de forger des noms de valeurs : qu’avaient-ils à faire de l’utilité ? (…)

Portrait_of_Friedrich_Nietzsche.jpgLe sentiment de la noblesse et de la distance, je le répète, le sentiment premier et global, durable et prédominant, d’un habitus supérieur et impérieux face à un habitus inférieur, à un ‘‘contrebas’’, – voilà l’origine de l’antithèse ‘‘bon’’ et ‘‘mauvais’’.

(Le droit seigneurial de donner des noms s’étend si loin qu’on devrait s’autoriser à considérer l’origine même du langage comme une manifestation de la puissance des seigneurs ; ils disent : ‘‘c’est ainsi et pas autrement’’, ils scellent toute chose et tout événement par un son et en prennent ainsi possession, en quelque sorte.)

Cette origine implique que le mot ‘‘bon’’ ne s’associe absolument pas d’emblée et nécessairement à des actions ‘‘non-égoïstes’’, ainsi que le croit la superstition de ces généalogistes de la morale [ceux pour qui ‘‘bon’’ = ‘‘utile’’]. Au contraire, c’est seulement lorsqu’il y déclin des jugements de valeur aristocratiques que toute cette antithèse de l’‘‘égoïstes’’ et du ‘‘non-égoïste’’ s’impose de plus en plus à la conscience de l’homme. » §2

« Les expressions forgées par les différentes langues pour désigner le « bon » au sens étymologique (…) remontent toutes à la même transformation de notion : partout ‘‘distingué’’, ‘‘noble’’ au sens social, est la notion fondamentale à partir de laquelle se développe, nécessairement, ‘‘bon’’ au sens de ‘‘distingué quant à l’âme’’, ‘‘noble’’ au sens de ‘‘doué d’une âme supérieure’’, ‘‘privilégié quant à l’âme’’ ; développement parallèle à cet autre qui fait, finalement, ‘‘vulgaire’’, ‘‘populacier’’, ‘‘vil’’ donnent la notion de ‘‘mauvais’’. » §4

Et remarquez qu’on trouve des idées similaires dans le §260 de Par delà bien et mal :

28630 (1).jpg« Lorsque ce sont les dominants qui déterminent le concept ‘‘bon’’, les états d’âmes sublimes et altiers sont considérés comme ce qui distingue et détermine le rang. L’homme noble se sépare des êtres en qui s’exprime le contraire de ces états sublimes et altiers ; il méprise ces êtres. Il faut remarquer de suite que, dans cette première espèce de morale, l’antithèse ‘‘bon’’ et ‘‘mauvais’’ équivaut à celle de ‘‘noble’’ et ‘‘méprisable’’. (…)

L’homme noble possède le sentiment intime qu’il a le droit de déterminer la valeur, il n’a pas besoin de ratification. Il décide que ce qui lui est dommageable est dommageable en soi, il sait que si les choses sont mises en honneur, c’est lui qui leur prête cet honneur, il est créateur de valeurs. Tout ce qu’il trouve sur sa propre personne, il l’honore. Une telle morale est la glorification de soi-même. »

 

L’arété des Grecs : une valeur aristocratique

Pour les Grecs et les Romains de l’Antiquité, la valeur morale la plus haute est exprimée par le mot grec arété, que les Romain ont traduit par virtus, et qui a donné en français vertu. Ainsi, si vous posiez une question morale à ces Grecs ou ces Romains : « Que dois-je faire ? Comment dois-je vivre ? », ils ne vous parleraient pas de bonté mais de vertu : « Fais preuve de vertu ; mène une vie vertueuse ». Et ne vous y trompez pas : ce mot que nous traduisons par vertu n’avait pas du tout le même sens pour les Anciens que pour nous aujourd’hui.

Passons rapidement sur la virtus des Romains. Le mot est construit sur la racine vir qui signifie homme, et c’est en effet une valeur plutôt masculine et guerrière ; elle renvoie à l’idée de force, d’excellence, de courage : la virtus est la valeur du soldat par excellence. Bref, c’est très éloigné de l’idée que nous nous faisons aujourd’hui de la vertu !arton4587.jpg (Notons encore que cette exaltation romaine de la force n’est sans doute pas étrangère au fait que Nietzsche fait de Rome l’incarnation la plus haute de la morale aristocratique : « Les Romains étaient bien les forts et les nobles, tels qu’il n’y en jamais eu jusqu’ici sur terre, et tels même qu’il ne pourra jamais y en avoir de plus forts et de plus nobles. » GM §16)

Le mot arété en grec, que l’on traduit donc par vertu en français, exprime véritablement la valeur morale la plus importante aux yeux des Grecs, et elle se traduit en fait mieux par le mot excellence. Être vertueux, pour un Grec, c’est exceller, être excellent. Mais on excelle toujours à quelque chose. Il n’y a d’excellence que relativement à une fonction déterminée. Par exemple un couteau est excellent parce qu’il excelle à couper : c’est la fonction du couteau. Par contre c’est une mauvaise fourchette. Couteau et fourchette ont deux fonctions différentes, et du coup l’excellence du couteau n’est pas la même que l’excellence de la fourchette. Pour les Grecs, la notion de vertu/excellence peut ainsi s’appliquer à tout ce qui a une fonction, une nature propre. Aristote dans l’Ethique à Nicomaque écrit ainsi :

Aristotelis.jpg« Il faut dire que toute vertu, selon la qualité dont elle est la perfection, est ce qui produit cette perfection et fournit le mieux le résultat attendu. Par exemple la vertu de l’œil exerce l’œil  et lui fait remplir sa fonction d’une façon satisfaisante ; c’est par la vertu de l’œil que nous voyons distinctement. De même la vertu du cheval fait de lui un bon cheval apte à la course, à recevoir le cavalier et capable de supporter le choc de l’ennemi. »

En somme, toute chose existe pour une certaine fin (l’œil, pour voir ; le cheval, pour porter le cavalier) et la vertu d’une chose réside dans la réalisation parfaite de cette fin. Cela relève d’une vision extrêmement finaliste de l’univers, qui n’est plus du tout la nôtre, mais c’était précisément celle des Grecs en général (et d’Aristote en particulier). Ainsi, le mot grec cosmos signifie à la fois monde et ordre : il allait de soi pour les Grecs que le monde est un ordre, un tout organisé dans lequel chaque chose a une place, une nature propre, et donc un rôle, une fonction, de même que dans l’être vivant chaque organe a une place, une fonction en vue du tout qu’est l’organisme : la vertu de l’œil est de permettre la vision, et ce n’est pas la vertu du poumon. L’œil qui permet une vision parfaite est un bon œil, sinon c’est un mauvais œil, un œil vicieuxdéfectueux.

Chaque chose ayant une nature, donc une fonction, peut ainsi être dit vertueuse ou vicieuse selon qu’elle assure bien ou mal la fonction qui découle de sa nature.

La vertu pour les Grecs a donc un sens bien plus large que strictement moral : la vertu morale n’est qu’un type particulier de vertu qui se rapporte à l’homme. Pour les Anciens, de même que toute autre chose dans le monde, l’homme a une nature, donc une fonction, et sa vertu réside donc dans la bonne réalisation de cette fonction. Ainsi, juste après le passage cité plus haut, Aristote ajoute :

« S’il en va ainsi de même pour tout, la vertu de l’homme serait une disposition susceptible d’en faire un honnête homme capable de réaliser la fonction qui lui est propre. »

Donc, être vertueux pour un homme, c’est accomplir parfaitement sa nature d’homme, c’est agir comme il convient à un homme d’agir. L’homme vertueux est un homme réussi, un homme qui excelle dans son rôle d’homme.

On retrouve ce type d’idée chez la plupart des philosophes de cette période ; pour les stoïciens Grecs par exemple le concept central était le kathèkon qu’on peut traduire par fonction proprece qui convient, l’action appropriée. Et certes les philosophes de l’Antiquité seront souvent en désaccord sur ce qu’est cette fonction propre de l’homme, mais je n’en vois guère qui nierait que l’homme en ait une et que sa vertu consiste à la réaliser.

Roman-mosaic-know-thyself.jpgQu’est-ce que cela implique quant à ce qui s’oppose à la vertu, c’est-à-dire le vice ? Si la vertu est la bonne réalisation de la fonction, le vice est un dysfonctionnement, une défectuosité. L’homme vicieux est celui qui réalise mal sa fonction d’homme, c’est un homme raté, déréglé, qui ne fait pas ce qui convient à sa nature, qui n’est pas à sa place. Songez que la faute par excellence pour les Grecs est l’hubris, c’est-à-dire la démesure : mal agir, c’est sortir de sa place d’homme, agir comme un dieu. La maxime delphique « Souviens-toi qui tu es » peut s’entendre en ce sens : souviens-toi que tu es un homme, ni plus ni moins, et donc ne sors pas de ce rôle d’homme.

Aussi l’homme vicieux, déréglé, défectueux, ne peut-il qu’être malheureux : c’est une sorte de malade, de monstre. Et les hommes véritablement vertueux (et donc heureux) savent qu’il est à plaindre ! S’efforcer de ramener l’homme vicieux à la vertu par le châtiment, c’est une façon de le réparer, de soigner son âme ; il ne s’en portera que mieux : la justice est la « médecine du vice ».

Je pense que c’est assez pour voir en quoi cette conception de la vertu et du vice recoupe très bien ce que Nietzsche dit de la morale aristocratique : on y retrouve l’idée que le bon est celui qui réussit, qui excelle, par opposition au mauvais qui rate. D’ailleurs le mot ariston en grec n’est que la forme superlative de arété : les aristocrates sont, à strictement parler, les plus vertueux. (Nietzsche s’appuie sur toute sorte d’étymologie souvent tout à fait hasardeuse, mais bizarrement il ne songe pas à celle-là dans la Généalogie de la morale, ni ailleurs pour autant que je sache.)

Soit dit en passant, on pourrait aussi faire le lien avec l’intellectualisme moral de certains philosophes de l’Antiquité, c’est-à-dire l’idée que nul ne fait le mal volontairement. Cette idée qui nous paraît tellement bizarre et presque absurde (parce que nous entendons faire le mal au sens d’agir méchamment) se comprend parfaitement dans le cadre d’une morale aristocratique ; en effet, nul n’est mauvais volontairement, puisque nul ne rate volontairement.

Voilà !

 

 

Episode 2 – Méchant !

 

 

Voici les passages du premier traité de la Généalogie de la morale cités dans la vidéo :

« L’insurrection des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment lui-même devient créateur et engendre des valeurs : le ressentiment d’êtres tels que la véritable réaction, celle de l’acte, leur est interdite, qui ne s’en sortent indemnes que par une vengeance imaginaire. Alors que toute morale noble procède d’un dire-oui triomphant à soi-même, la morale des esclaves dit non d’emblée à un ‘‘extérieur’’, à un ‘‘autrement’’, à un ‘‘non-soi’’ ; et c’est ce non-là qui est son acte créateur. » §10

« Ce ‘‘mauvais’’ d’origine noble et ce ‘‘méchant’’ tiré du chaudron de la haine inassouvie – le premier est une création après coup, un à-côté, une couleur complémentaire, tandis que le second est l’original, le commencement, l’acte véritable dans la conception d’une morale d’esclave –, quel contraste entre les deux termes ‘‘mauvais’’ et ‘‘méchant’’ opposés en apparence à la même notion de ‘‘bon’’ : qu’on se demande plutôt qui est vraiment ‘‘méchant’’ selon la morale du ressentiment. Réponse en toute rigueur : justement le ‘‘bon’’ de l’autre morale, justement le noble, le puissant, le dominateur, ici simplement travesti, réinterprété et déformé par le regard venimeux du ressentiment. » §11

 

800px-Eagle_and_Lamb_-_James_Audubon.jpg

« Les agneaux gardent rancune aux grands rapaces, rien de surprenant : mais ce n’est point là une raison pour en vouloir aux grands rapaces d’attraper les petits agneaux. Mais si ces agneaux se disent entre eux : ‘‘Ces rapaces sont méchants ; et celui qui est aussi peu rapace que possible, qui en est plutôt le contraire, un agneau, celui-là ne serait-il pas bon ?’’, alors il n’y a rien à redire à cette construction d’un idéal, même si les rapaces doivent voir cela d’un œil un peu moqueur et se dire peut-être : ‘‘nous, nous ne leur gardons nullement rancune, à ces bons agneaux, et même nous les aimons : rien n’est plus goûteux qu’un tendre agneau.’’ Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme force, qu’elle ne soit pas volonté de domination, volonté de terrasser, volonté de maîtrise, soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, c’est tout aussi absurde que d’exiger de la faiblesse qu’elle se manifeste comme force. (…) La morale du peuple sépare la puissance des manifestations de la puissance, comme s’il y avait derrière la puissance un substrat indifférent qui serait libre de manifester la puissance ou de ne pas le faire. Mais un tel substrat n’existe pas ; il n’existe aucun ‘‘être’’ derrière l’agir, le faire, le devenir ; l’‘‘agent’’ est un ajout de l’imagination à l’agir, car l’agir est tout. (…) Quoi d’étonnant si les affects de vengeance et de haine, rentrés et couvant sous la braise, ne maintiennent aucun dogme avec plus de ferveur que celui qui affirme que le fort est libre d’être faible, et le rapace d’être agneau : — on s’arroge ainsi le droit d’imputer au rapace sa nature de rapace…

(…) Lorsque les opprimés, les humiliés, les maltraités, sous l’empire de la ruse vengeresse de l’impuissance, se mettent à dire : ‘‘Soyons le contraire des méchants, c’est-à-dire bons ! Est bon quiconque ne fait violence à personne, quiconque n’offense, ni n’attaque, n’use pas de représailles et laisse à Dieu le soin de la vengeance, quiconque se tient caché comme nous, évite la rencontre du mal et du reste attend peu de chose de la vie, comme nous, les patients, les humbles et les justes.’’ — Tout cela veut dire en somme, à l’écouter froidement et sans parti pris : ‘‘Nous, les faibles, nous sommes décidément faibles ; nous ferons donc bien de ne rien faire de tout ce pour quoi nous ne sommes pas assez forts’’.  Mais ce rude état de fait, cette intelligence rudimentaire (…), par ce faux monnayage et cette mauvaise foi de l’impuissance, s’est drapée de la pompe d’une vertu de renoncement, de patience silencieuse, comme si la faiblesse même du faible, c’est-à-dire son essence, ses actes, toute sa réalité, singulière, inévitable, indéfectible, était un exploit délibéré, quelque chose de voulu, de choisi, une action, un mérite. Cette sorte d’homme a besoin de la foi dans un ‘‘sujet’’ doué d’une liberté de choix et d’indifférence, par un instinct de conservation, d’affirmation de soi, où chaque mensonge aime à se sanctifier. Le sujet (ou, pour faire plus populaire, l’âme) a peut-être été jusqu’ici le meilleur acte de foi, parce qu’il permettait au commun des mortels, aux faibles et aux opprimés de toutes sortes ce sublime mensonge à soi-même qui consiste à interpréter la faiblesse elle-même comme liberté et les avatars de cette faiblesse comme mérites. » §13

 

Et voilà ! C’est tout pour aujourd’hui.

 

 

 

 

11 réflexions au sujet de « Nietzsche : « ‘‘Bon et méchant’’, ‘‘Bon et mauvais’’ » – Grain de philo #11 »

  1. La vertu est donc réaliser avec succès son rôle d’Homme…
    Objection votre honneur ; j’aimerai bien savoir qu’est-ce que le rôle de l’homme. Contrairement aux animaux ou aux objets nous ne semblons pas avoir de fonctions prédéfinies, à l’inverse nous pouvons estimer avoir la liberté de nous définir nous-même dans une certaine mesure. Si on adopte ce point de vu, un homme vertueux (donc qui réussit) pourrait-être le plus « mal-vu » d’entre nous selon son objectif et sa vision de la réussite . Par exemple réussir financièrement en écrasant tout le monde peut-être un but personnel/un objectif, l’individu qui réussi cette objectif aura réaliser avec succès sa vision de la réussite, est-il vertueux pour autant ?…

    En outre, si on admet en premier axiome qu’être vertueux est de réaliser avec succès son rôle d’Homme pour les Hommes, alors c’est la société et le bien commun qui définirai la vertu d’une personne ou bien au contraire son vice. Cependant les sociétés changent, les valeurs morales ne seraient donc pas intemporel au contraire.

    Je pense qu’il est très hasardeux de parler de « rôle de l’Homme », c’est un concept très subjectif et qui varie selon les sociétés….

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    • Le rôle (sa fonction, pas son « but ») de l’Homme c’est justement tout l’intérêt de la recherche éthique des vertus, et qu’au milieu de la subjectivité dont vous parlez, il y aurait des fondements rationnels, objectifs.

      Le succès, c’est l’intérêt de l’éthique téléologique, qui se questionne sur la finalité, ou le comment on y arrive.

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    • Pour les Grecs il ne faisait pas de doute que l’homme, de même que tout être dans le cosmos, a une nature déterminée ; et donc la vertu de l’homme consiste à faire ce qui convient à sa nature. Mais évidemment nous n’avons plus du tout la même conception ni de l’univers, ni de l’homme. Je ne présente pas ce concept de vertu pour autre chose que pour illustrer plus précisément l’idée nietzschéenne d’une morale aristocratique.

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  2. « S’efforcer de ramener l’homme vicieux à la vertu par le châtiment, c’est une façon de le réparer, de soigner son âme ; il ne s’en portera que mieux : la justice est la « médecine du vice ». »

    Intéressant. Il me semblait pourtant que la stratégie punitive de la pénitence (au sens de punition visant à sauver l’âme/la morale du condamné) n’est apparue que bien plus tard (Foucault la date environ à l’apparition du ‘pénitencier’ chez les Quakers). Est-ce que tu as des exemples pour étoffer cette idée de médecine du vice ?

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    • Ce passage du Gorgias de Platon (où pour adapter le vocabulaire nietzschéen assez il faudrait remplacer en fait le terme méchant par mauvais) :

      « SOCRATE : N’est-ce pas que celui qui châtie à bon droit châtie justement ?
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : Fait-il en cela une action juste ou non ?
      POLOS : Il fait une action juste.
      SOCRATE : Et celui qui est châtié en punition d’une faute ne subit-il pas un traitement juste ?
      POLOS : Il y a apparence. (…)
      SOCRATE : Ainsi ce que souffre celui qui est puni est bon ?
      POLOS : Il semble.
      SOCRATE : Il en tire donc utilité ?
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : Est-ce l’utilité que je conçois ? Son âme ne s’améliore-t-elle pas, s’il est puni justement ?
      POLOS : C’est vraisemblable.
      SOCRATE : Ainsi celui qui est puni est débarrassé de la méchanceté de son âme ?
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : N’est-il pas ainsi délivré du plus grand des maux ? Examine la question de ce biais. Pour l’homme qui veut amasser une fortune, vois-tu quelque autre mal que la pauvreté ?
      POLOS : Non, je ne vois que celui-là.
      SOCRATE : Et dans la constitution du corps, le mal, à tes yeux, n’est-il pas la faiblesse, la maladie, la laideur et les autres disgrâces du même genre ?
      POLOS : Si.
      SOCRATE : Et l’âme, ne crois-tu pas qu’elle a aussi ses vices ?
      POLOS : Naturellement.
      SOCRATE : Ces vices ne les appelles-tu pas injustice, ignorance, lâcheté et d’autres noms pareils?
      POLOS : Certainement.
      SOCRATE : Donc pour ces trois choses, fortune, corps et âme, tu as reconnu trois vices, la pauvreté, la maladie, l’injustice ?
      POLOS : Oui. (…)
      SOCRATE : Maintenant quel est l’art qui nous délivre de la pauvreté ? N’est-ce pas l’économie ?
      POLOS : Si.
      SOCRATE : Et de la maladie ? N’est-ce pas la médecine ?
      POLOS : Incontestablement.
      SOCRATE : Et de la méchanceté et de l’injustice ? Si ma question ainsi posée t’embarrasse, reprenons-la de cette manière : où et chez qui conduisons-nous ceux dont le corps est malade ?
      POLOS : Chez les médecins, Socrate.
      SOCRATE : Et où conduit-on ceux qui s’abandonnent à l’injustice et à l’intempérance ?
      POLOS : Tu veux dire qu’on les conduit devant les juges ?
      SOCRATE : Pour y payer leurs fautes, n’est-ce pas ?
      POLOS : Oui. (…)
      SOCRATE : Ainsi donc l’économie délivre de l’indigence ; la médecine, de la maladie ; la justice, de l’intempérance et de l’injustice.
      POLOS : Il y a apparence. (…)
      SOCRATE : Est-ce une chose agréable d’être entre les mains des médecins, et prend-on plaisir à se laisser traiter par eux ?
      POLOS : Je ne le crois pas.
      SOCRATE : Mais on y a profit, n’est-ce pas ?
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : Car on est délivré d’un grand mal, et l’on a avantage à supporter la douleur et à recouvrer la santé.
      POLOS : Sans doute.
      SOCRATE : Dans ces conditions, quand est-ce qu’on est dans la meilleure condition physique, lorsqu’on est entre les mains des médecins, ou lorsqu’on n’est pas du tout malade ?
      POLOS : C’est évidemment quand on n’a aucune maladie.
      SOCRATE : C’est qu’en effet le bonheur ne consiste pas, semble-t-il, à être délivré d’un mal, mais à ne pas en avoir du tout.
      POLOS : C’est vrai.
      SOCRATE : Et de deux hommes dont le corps ou l’âme sont atteints par le mal lequel est le plus malheureux, celui qu’on traite et qu’on délivre de son mal, ou celui qui n’est point traité et qui le garde ?
      POLOS : Il me semble que c’est celui qui n’est point traité.
      SOCRATE : N’avons-nous pas dit que payer sa faute, c’était se délivrer du plus grand mal, la méchanceté ?
      POLOS : Nous l’avons dit en effet.
      SOCRATE : C’est qu’en effet la punition assagit et rend plus juste, et que la justice est comme la médecine de la méchanceté.
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : Le plus heureux par conséquent est celui qui n’a point de vice dans l’âme, puisque nous avons vu que c’était le plus grand des maux.
      POLOS : Sans aucun doute.
      SOCRATE : Au second rang vient celui qu’on délivre du vice.
      POLOS : Il semble.
      SOCRATE : Et celui-là, c’est l’homme qu’on avertit, qu’on réprimande et qui paye sa faute ?
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : L’homme qui mène la vie la plus malheureuse est donc celui qui garde son injustice, au lieu de s’en débarrasser.
      POLOS : C’est évident.
      SOCRATE : Or n’est-ce pas justement le cas de l’homme qui, tout en commettant les plus grands crimes et tenant la conduite la plus injuste, réussit à se mettre au dessus des avertissements, des corrections, des punitions, comme l’a fait, dis-tu, Archélaos, ainsi que les autres tyrans, les orateurs et les potentats ?
      POLOS : Il le semble.
      SOCRATE : Ces gens-là, excellent Polos, se sont à peu près conduits comme un homme qui, atteint des plus graves maladies, se serait arrangé pour ne point rendre compte aux médecins de ses tares physiques et pour échapper à leur traitement, craignant, comme un enfant, qu’on ne lui appliquât le feu et le fer, parce que cela fait mal. N’est-ce pas ainsi que tu te figures leur état ?
      POLOS : Si.
      SOCRATE : La raison, c’est qu’il ignorerait le prix de la santé et du bon état du corps. A en juger par les principes sur lesquels nous sommes à présent d’accord, ceux qui cherchent à éviter la punition ont bien l’air de se conduire de la même manière, Polos. Ils voient ce qu’elle a de douloureux, mais ils sont aveugles sur ce qu’elle a d’utile et ils ne savent pas combien on est plus à plaindre d’habiter avec une âme malsaine, corrompue, injuste, impie, qu’avec un corps malsain. De là vient qu’ils mettent tout en œuvre pour ne point expier leur faute et n’être pas délivrés du plus grand des maux ; ils tâchent de se procurer des richesses et des amis et d’être aussi habiles que possible à persuader au moyen du discours. Mais si nos principes sont justes, vois-tu ce qui résulte de notre discussion, ou veux-tu que nous en tirions les conclusions ?
      POLOS : Oui, s’il te plaît.
      SOCRATE : N’en résulte-t-il pas que le plus grand des maux, c’est d’être injuste et de vivre dans l’injustice ?
      POLOS : Si, évidemment.
      SOCRATE : D’autre part, n’avons-nous pas reconnu qu’on se délivrait de ce mal en payant sa faute ?
      POLOS : C’est possible.
      SOCRATE : Et que l’impunité ne faisait que l’entretenir ?
      POLOS : Oui.
      SOCRATE : Par conséquent, pour la grandeur du mal, commettre l’injustice n’est qu’au second rang ; mais l’injustice impunie est le plus grand et le premier de tous les maux.
      POLOS : Il semble.
      SOCRATE : N’est-ce pas sur ce point, cher ami, que nous étions en contestation ? Tu soutenais, toi, qu’Archélaos est heureux, parce que, commettant les plus grands crimes, il échappe à toute punition ; moi, au contraire, je pensais qu’Archélaos ou tout autre qui ne paye point ses crimes est naturellement le plus malheureux de tous les hommes, que celui qui commet une injustice est toujours plus malheureux que celui qui la subit, et celui qui ne paye pas sa faute plus malheureux que celui qui l’expie. »

      L’idée que la pénitence améliore l’homme dans une pensée d’inspiration chrétienne est tout à fait différente de cela, il me semble. Les chrétiens donnent une valeur en soi à la souffrance. Pour les Grecs l’homme vertueux est heureux par l’exercice de sa vertu ; c’est seulement lorsqu’on est vicieux, déréglé, qu’être ramené à la vertu sera douloureux, mais il n’y a pas une valorisation de la douleur en soi.

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  3. « Je pense que c’est assez pour voir en quoi cette conception de la vertu et du vice recoupe très bien ce que Nietzsche dit de la morale aristocratique : on y retrouve l’idée que le bon est celui qui réussit, qui excelle, par opposition au mauvais qui rate. »

    Comment peux-tu dire ça, alors que pour Nietzsche, le monde n’est nullement un cosmos, mais un monstre de forces, régi par le hasard (cf. le coup de dés d’Héraclite dans la même « Généalogie », et dans bien d’autres passages de ses livres) ? Il s’oppose à cette conception harmonieuse du monde qui est celle des Stoïciens (cf. par exemple dans le « Gai savoir »). Il est en fait darwinien, mis à part que pour lui, les « forts » dans la nature sont les plus nombreux, ce ne sont pas les « aristocrates ». Eh oui, ce sont les « mauvais » qui sont les plus forts, et ce de tout temps !

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