13,8 milliards d’années après le Big Bang, tout l’univers est régi par les lois physiques. Tout ? Non ! Une planète peuplée d’irréductibles humains résiste encore et toujours au déterminisme… Grâce à la potion magique concoctée par leurs philosophes : la liberté !
Ou pas.
Quelques mots sur la mécanique quantique et pourquoi défendre la liberté sur cette base ne paraît pas solide. En somme, on pourrait être tenté de tenir l’argument suivant : la mécanique quantique nous apprend que le comportement des particules élémentaires est indéterministe, donc y’a de l’indétermination dans le monde, donc ouf ! la liberté est sauvée… Pourquoi ça ne me semble pas pertinent ? Sans même discuter la prémisse (et on pourrait la discuter : il y a de multiples interprétations de la mécanique quantique et toutes n’impliquent pas un indéterminisme fondamental), je ne vois pas comment on pourrait en tirer un fondement pour la liberté humaine (et pas seulement pour la liberté de l’électron…). En effet, il est bien difficile de voir comment un indéterminisme au niveau des particules élémentaires pourrait produire un effet notable sur un objet macroscopique (comme un être humain – c’est pourquoi je disais dans la vidéo qu’à l’échelle d’un corps vivant les lois physiques peuvent être considérées comme déterministes) ; et même en acceptant ce point, il est encore plus difficile de voir en quoi cet indéterminisme ferait sens pour penser ce que nous appelons la liberté. Le passage suivant de l’article « Libre-arbitre » de l’Encyclopédie philosophique (par Jean-Baptiste Guillon) présente bien ces principales difficultés :
Face aux auteurs déterministes, un certain nombre de philosophes se sont efforcés de défendre la conception du sens commun, celle selon laquelle nous sommes moralement responsables de nos actions (ou au moins certaines d’entre elles) parce que nous avons le libre arbitre. Et traditionnellement, ces auteurs en ont tiré la conclusion que nous vivons dans un monde qui contient des indéterminismes : Epicure, par exemple, faisait l’hypothèse que les atomes ne suivent pas toujours un mouvement absolument déterminé, mais sont parfois sujets à une changement de direction indéterministe (le clinamen). Comme on l’a vu, la physique du XIXème siècle semblait donner tort à Epicure, mais la théorie quantique du XXème siècle semble au contraire rejoindre son idée d’un mouvement indéterministe des particules. Peut-on en conclure que la physique quantique a tout simplement confirmé l’existence du libre arbitre et que le problème est désormais résolu ? Malheureusement, la situation est plus compliquée que cela. Le problème, c’est qu’il n’est pas facile de comprendre comment ma liberté d’agir pourrait résider ultimement dans les mouvements hasardeux de particules microscopiques. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le problème de l’intelligibilité : l’idée d’un contrôle de nos actions qui repose sur l’indéterminisme microscopique n’est pas clairement intelligible, et le philosophe libertarien devra donc essayer de rendre cette idée intelligible.
Le problème de l’intelligibilité peut être divisé en deux questions : une question générale du rapport entre hasard et liberté, qu’on appelle le problème de la chance, et une question empirique sur la place de l’indéterminisme dans la nature.
Le problème de la chance est l’objection suivante : un événement indéterministe est, par définition, un événement « hasardeux », un événement qui peut aussi bien se produire que ne pas se produire étant données les conditions initiales. Mais une action libre doit être une action contrôlée par l’agent. Or comment une action pourrait-elle être contrôlée si elle se produit de manière parfaitement hasardeuse ? Finalement, peut-être que le déterminisme exclut le libre arbitre, mais il semble que l’indéterminisme l’exclut également. Auquel cas, le libre arbitre serait absolument impossible puisqu’il serait incompatible aussi bien avec le déterminisme qu’avec sa négation, l’indéterminisme. Certains auteurs contemporains, par exemple Galen Strawson, défendent cette thèse qu’on appelle l’impossibilisme. Cela reviendrait à dire que notre conception de sens commun est une conception confuse et contradictoire en elle-même et qui, étant contradictoire, n’a aucune chance d’être vraie.
Pour éviter l’impossibilisme et répondre au problème de la chance, il faut montrer que certaines formes d’indéterminisme ne rendent pas notre action « hasardeuse » mais augmentent au contraire le contrôle que nous en avons. Pour cela, il est fondamental de bien situer le moment auquel l’indéterminisme intervient. Par exemple, si l’indéterminisme intervient entre le moment où je décide de lever le bras et le moment où je lève le bras, alors il est clair que cet indéterminisme diminue le contrôle de l’action et la liberté : en effet, si le mouvement de bras peut aussi bien se produire que ne pas se produire alors même que j’ai pris la décision de le lever, il est clair que je ne suis plus pleinement au contrôle de mon bras. Pour la plupart des auteurs libertariens, notamment Robert Kane, le bon indéterminisme doit donc intervenir de la manière suivante : l’événement qui doit être indéterminé est la décision elle-même, ou le choix que je fais, après avoir considéré des raisons de faire une action A ou une action B, et lorsque les raisons de faire A sont aussi fortes que celles de faire B (ou qu’elles sont incommensurables), de telle sorte que je suis réduit à la nécessité de prendre moi-même une décision. C’est ce qu’on appelle une situation de « choix difficile ». Un choix difficile, s’il dépend vraiment de l’agent lui-même et de rien d’autre, doit être un événement indéterministe d’après les auteurs libertariens, et le fait qu’il soit indéterministe ne le rend pas « hasardeux ».
Le deuxième problème qui se pose pour rendre intelligible la conception libertarienne, c’est celui d’expliquer la place de la liberté dans le monde naturel tel que nous le décrivent les sciences. La question est en particulier celle du rapport entre les indéterminismes quantiques, qui sont situés au niveau des particules microscopiques, et nos actions libres, qui sont situées à un niveau macroscopique et n’ont donc, semble-t-il, pas grand-chose à voir avec le niveau des indéterminismes quantiques.
Pour répondre à ce défi, les libertariens doivent montrer que les indéterminismes microscopiques peuvent parfois être « amplifiés » pour devenir des indéterminismes des mouvements macroscopiques, et qu’ils peuvent être situés justement au bon endroit dans le cerveau (c’est-à-dire au moment du choix) pour rendre possible le choix libre. D’autres auteurs, comme Timothy O’Connor, défendent que les indéterminismes sur lesquels repose le libre arbitre humain ne sont pas les indéterminismes quantiques microscopiques, mais qu’il s’agit d’indéterminismes qui apparaissent directement au niveau macroscopique des actions humaines.
Jean-Baptiste Guillon, Libre-arbitre, extrait de l’Encyclopédie philosophique.
http://encyclo-philo.fr/libre-arbitre/ (au demeurant c’est une excellente encyclopédie de philosophie en ligne en français).
Ping : La liberté en jeu | PopPhi #2 (Ep.1) | Monsieur Phi
Ping : Monsieur Phi- De la philosophie avec un monstre vert-sur ce site voici les petits hommes verts de Mars???-varia – sourceserlande
Ping : Réviser le bac philo en vidéo ! | Monsieur Phi
Bonjour,
J’ai déjà laissé ce commentaire sur Youtube, mais bon comme la vidéo a plus d’un an il y a probablement plus de chances que quelqu’un le lise ici.
Un point du raisonnement présenté à partir de 5’50 ne me paraît pas valide (s’intéresser à B, copie parfaite de A placée dans les mêmes conditions, et dire que s’ils sont autodéterminés ils pourraient faire des choix différents). Plus précisément, si l’autodétermination réside dans le fait que rien ne détermine mon choix à part ma propre volonté, cela pose la question de où cette volonté réside.
Ainsi, si on comprend l’autodéterminationau sens de la définition de Spinoza ou de celle de Kant telles qu’elles apparaissent à l’écran vers 5’30, l’autodétermination c’est d’être déterminé par sa nature propre (dont la volonté fait partie), par opposition à l’être par des contraintes extérieures.
Dans ce cas, si l’on considère les individus A et B, copies identiques placées dans des situations identiques (les éventuelles contraintes extérieures étant donc identiques), nous ne pouvons rien apprendre sur leur autodétermination :
– s’ils sont autodéterminés, ils diront tous deux la même chose car leur nature propre (qui les détermine donc) est identique pour A et pour B
– s’ils ne sont pas autodéterminés, ils diront tous deux la même chose également parce que les contraintes extérieurs (qui les déterminent dans ce cas) sont identiques pour A et pour B.
Une expérience de pensée qui permettrait de réfléchir sur l’autodétermination serait alors à mon sens de placer l’individu dans différentes conditions pour voir si son choix est indépendant de celles-ci. Une autre serait de placer différents individus dans la même situation pour voir s’ils ont la possibilité de choisir des choses différentes.
De telles expériences de pensées amèneraient cependant à de nouvelles questions, car placer A et B dans des situations différentes mène probablement à ce qu’ils aient des souvenirs différents:
– dans ce cas, sont-ils encore la même personne ?
– s’ils ne le sont pas, est-ce que l’autodétermination ne porterait pas alors sur la capacité qu’à un individu à déterminer quelle future personne il deviendra malgré l’influence de l’environnement ?
– si l’environnement détermine la nature propre des individus, est-ce que cela signifie que les conditions initiales de l’univers prédéterminent la nature de chacun? (note: sur ce dernier point, étant donné la nature chaotique de l’univers (au sens théorie du chaos/effet papillon), peut-être que l’indétermination quantique peut atténuer le poids des conditions initiales dans la balance)
J’aimeJ’aime
Dommage que l’argument de la mécanique n’ait pas été traité dans la vidéo mais seulement dans le commentaire.
L’article de Jean-Baptiste Guillon ne l’écarte d’ailleurs pas vraiment, au contraire il lance des pistes !
En effet Guillon conclut que l’indéterminisme est possible, mais qu’il est seulement « difficile » de faire le lien entre cet indéterminisme quantique et des actions humaines libres au niveau macroscopique.
Mais dire que ce lien est difficile à exprimer (voire dire qu’il serait inintelligible) ne revient pas à le nier il me semble ?
En outre, les partisans du libre ont ils postulé un contrôle « total » sur eux-mêmes ? Je ne pense pas !
En fait si on considère que « je » existe, et que « je » est fait d’une matière qui n’est pas elle-même totalement soumise à un enchainement de causes et d’effets inéluctables puisque indéterminée au niveau quantique, alors je serais plutôt tenté de dire que « je » est dans une certaine mesure indéterminé et donc qu’il est « libre », mais dans un cadre extrêmement contraignant !
Et d’ailleurs sur la question du dualisme esprit/matière, pourquoi ne pas postuler que, tout comme des mécanismes quantiques peuvent in fine se traduire par des observations au niveau macroscopique, l’esprit pourrait lui-même trouver en partie sa source dans une matière agissant au niveau quantique, ou à un autre niveau qui nous est encore inconnu, mais dont les actions réalisées à ce niveau inconnu auraient une influence sur nos actions au niveau macroscopique ?
J’aimeJ’aime
On retrouve souvent ce traitement de l’indéterminisme quantique. Mais la référence à la physique quantique n’a pas pour but d’établir un modèle physique de la liberté. Il s’agit seulement d’un argument négatif pour contester la majeure de l’argument déterministe lorsqu’il prend la forme :
Les lois de la nature sont déterministes
Or l’homme est un être naturel
Donc les actions humaines sont déterminées
Mais si une partie significative de la physique n’est pas déterministe, l’argument ne peut pas prendre cette forme. Et il n’est pas évident du tout qu’il y ait un remplaçant évident pour celle-ci.
J’aimeJ’aime