Sommes-nous tous des zombies ? Interview de François Kammerer sur l’illusionnisme | Café Phi #1

Introduction + version courte de l’interview :

 

Version longue de l’interview :

 

Sommaire avec timecodes :

« Comment es-tu tombé dans la philosophie ? »

0:13 – Parcours, nietzchéisme de jeunesse, etc.

 

« Comment es-tu tombé dans l’illusionnisme ? »

5:42 – Présentation du problème difficile de la conscience.

11:58 – Peut-on se tromper en disant « J’ai mal » ?

15:33 – Première approche : le dualisme ou le monisme neutre.

17:25 – Deuxième approche : le mystérianisme.

20:32 – Où classer le fonctionnalisme ? Fonctionnalisme analytique vs. fonctionnalisme a posteriori. (Discussion sur l’expérience de pensée du spectre inversé.)

26:03 – Troisième approche : l’illusionnisme (ou éliminativisme). Il n’y a pas d’expérience consciente.

29:37 – Sur le « crazyism »

31:04 – Sur la probabilité que l’illusionnisme soit correct

32:55 – L’introspection est-elle faillible ?

35:10 – Comment se pourrait-il que l’illusionnisme soit vrai mais nous paraisse impossible ou absurde ?

38:55 – Si on on peut expliquer tous les jugements qu’on porte sur la conscience sans faire appel à la conscience, pourquoi supposer qu’elle existe ?

40:35 – Sur la difficulté (et la beauté) d’admettre l’inexistence de la conscience

 

« Les illusionnistes sont-ils des salauds ? »

45:44 – Les évaluations morales semblent liées à l’attribution d’expériences conscientes. Implications morales de l’illusionnisme.

50:50 – L’illusionnisme mène-t-il au nihilisme ?

54:09 – Le zombie le plus gentil que je connaisse

 

Quelques paris avec un pistolet sur la tempe

55:33 – Paris sur l’illusionnisme

1:00:04 – Paris sur la création future d’IA ayant une forme de conscience (ou d’illusion de conscience) similaire à la nôtre

 

Conclusion

1:07:52 – Croire en l’illusionnisme m’empêchera-t-il de dormir ?

1:09:23 – Quelques lectures recommandées

1:11:18 – OUTRO

________________________

 

Deux articles de François Kammerer sur l’illusionnisme :

« The illusion of conscious experience »

« Can you believe it? Illusionism about consciousness and the illusion meta-problem »

 

Conseils de lectures :
La conscience expliquée de Daniel Dennett

« Illusionnism as a theory of consciousness » de Keith Frankish

The Meta-problem of consciousness de David Chalmers

 

Enfin, pour ceux qui en veulent encore, voici cinq petites minutes coupées au montage où on discute d’idées bizarres sur la continuité du moi et le solipsisme d’une journée…

 

9 réflexions au sujet de « Sommes-nous tous des zombies ? Interview de François Kammerer sur l’illusionnisme | Café Phi #1 »

  1. Encore une fois merci de nous proposer des sujets aussi intéressants.

    La proposition qu’on n’ai pas de conscience à proprement parler, mais qu’elle soit l’illusion de celle ci me perturbe.
    Si la conscience n’existe pas et qu’elle soit un mécanisme issu de l’évolution, quand on entre en méditation pour « agir en conscience » alors on devrait entrer dans une boucle infinie. Que je sache on sort de la méditation avec autre chose que le tournis.

    C’est différent de penser une boucle infinie et de la vivre.
    Donc quelque chose ne tourne pas rond dans cette hypothèse?

    J’aime

  2. Bonjour !

    J’ai été assez marquée par cette vidéo sur l’illusionnisme (qui d’ailleurs est d’une qualité extraordinaire comme généralement le contenu de la chaîne, et merci pour ça… Je suis physicienne donc pas franchement dans le milieu philosophique, et avoir accès à ce genre de contenus est une opportunité extraordinaire, un super point de départ de lectures et d’intérêts !).

    Il se fait que, par hasard, je suis tombée hier sur cet article où des chercheurs essaient de développer une théorie mathématique de la conscience et l’appliquent à des systèmes classiques et quantiques (je sais que ça fait beaucoup de trucs qui font pseudo-sciences dans une phrase mais c’est un vrai article scientifique) : https://arxiv.org/abs/2002.07655

    Je suis pas philosophe ni à proprement parler mathématicienne donc je ne sais pas vraiment évaluer finement ce que ça vaut mais j’ai trouvé qu’à tout le moins, l’idée un peu folle d’essayer de faire cela est très intéressante !

    Je ne sais pas si vous lisez les commentaires, ni si vous êtes déjà tombé dessus, mais je me suis dit que si respectivement oui et non, il vous intéresserait peut-être, tout simplement.

    Encore merci pour le contenu !

    J’aime

    • Merci ! L’article développe sur une théorie de la conscience https://en.wikipedia.org/wiki/Integrated_information_theory qui est souvent présentée par ses défenseurs (et par certains panpsychistes aussi, parce qu’elle implique le panpsychisme d’une façon ou d’une autre) comme la « leading theory of consciousness », mais c’est tout à fait erroné puisque presque tous les chercheurs qui s’intéressent à la conscience, qu’ils soient philosophes ou neuroscientifiques (ou les deux), s’accordent en fait pour ne lui trouver qu’un intérêt très limité ou pas d’intérêt du tout. Je ne connais pas bien le sujet mais j’ai l’impression que cette approche fascine parce qu’elle permet un travail de formalisation beaucoup plus poussé que n’importe quelle autre théorie de la conscience, mais elle semble avoir le défaut d’être complètement spéculative et d’échapper à toute forme de confrontation avec l’expérience.

      J’aime

      • Oh merci pour la réponse ! Le temps est une ressource précieuse donc j’apprécie beaucoup !

        D’accord, c’est intéressant, et ça me confirme dans l’intuition que j’avais (mais qui manquait de formalisme, faute de connaître réellement le sujet) qu’il était fort peu probable (pas impossible, mais le curseur de vraisemblance est bas disons) qu’on puisse résumer en un papier et quelques équations un débat aussi séculaire.

        Finalement, et tout à fait personnellement, ce refus de la confrontation avec l’expérience est le point qui frustre mon esprit scientifique, quant à ce problème de la conscience, surtout à cause de la définition même des qualia comme quelque chose de purement subjectif : ça coupe court au débat et c’est plutôt désagréable en effet (et pourtant évidemment l’abstraction n’est pas un problème, c’est parfois très fécond, la physique en est friande et c’est le cœur de la philosophie, mais disons que ça grattouille dans ce cas-ci qui semblait se vouloir « scientifique » – au sens, tristement réducteur d’ailleurs, de couperet qui tranche la question). Je suis assez contente de la richesse du débat sur la conscience, c’est le signe d’un problème important et intéressant.

        Encore merci !

        J’aime

  3. Rebonjour.

    Votre vidéo récente sur l’impossibilité de se tromper à propos de sa propre douleur m’a donné envie d’entendre cet entretien sur l’illusionnisme. Ce que dit votre invité m’a à la fois intéressé et agacé. Cela m’a intéressé, parce que les questions abordées sont passionnantes et extrêmement difficiles. Cela m’a agacé, parce que j’ai trouvé l’argumentation fort peu convaincante, et même sophistique… mais peut-être cela vient-il de ce que j’ai mal compris la théorie. A vous de rectifier mes éventuelles erreurs, le cas échéant….

    Voici mes objections.

    1. L’idée qu’on puisse un jour construire une théorie qui puisse rendre compte de la production de jugements par le cerveau sans intervention de la conscience est extrêmement douteuse. C’est un simple pari sur l’avenir. Il me semble, quant à moi, que la notion de jugement est lié au langage, et que le langage a des liens étroits avec la conscience. Certes, il peut y avoir un usage inconscient du langage. Je peux faire un lapsus sans m’en rendre compte. Mais si nous pouvons utiliser parfois le langage inconsciemment, c’est parce que nous avons d’abord appris à parler, et cet apprentissage a nécessité de l’attention, donc une forme de conscience. Et cette attention est toujours requise lorsque nous avons à formuler une idée difficile ou nouvelle, au lieu de répéter bêtement des lieux communs. il en va tout autrement pour une machine. Certes, une machine peut produire des énoncés intelligibles, mais je ne suis pas du tout sûr qu’elle comprenne leur signification. Nous – fabricants, programmateurs ou utilisateurs de la machine – nous projetons notre pensée consciente sur la machine et nous disons : « La machine dit que… « , « La machine pense que… « , « La machine juge que…. » Il me semble que les signes langagiers, en tant qu’ils sont porteurs de sens, ne peuvent être réduits à des éléments combinés de manière purement mécanique.

    Par ailleurs, il est un peu bizarre de croire en l’existence du cerveau et de nier l’existence de la conscience. En effet, le cerveau n’est pas une réalité que l’on connaît directement, un objet déjà donné à notre esprit. C’est à partir d’un grand nombre de phénomènes – connus par notre conscience – que nous avons une idée de l’objet « cerveau ».

    Il y a donc, me semble-t-il, une sorte de tour de passe-passe dans l’illusionnisme, qui consiste à nier l’existence de la conscience en partant d’une réalité objective (le cerveau, les instruments de mesure, la matière….) qui est pourtant connue à partir de la conscience (sans pour autant se réduire à elle).

    2. L’idée que l’introspection contienne des erreurs et des illusions est intéressante, et même plausible. Déjà Platon, dans le Phédon, faisait remarquer que certains plaisirs nécessitent une douleur, ou du moins une insatisfaction (comme le plaisir de me gratter quand un endroit du corps me démange, ou le plaisir de boire quand j’ai soif). Il se pourrait donc très bien que ma conscience s’illusionne sur elle-même lorsqu’elle pense éprouver un « plaisir pur ». Mais que ma conscience – y compris la plus intime – soit pleine d’illusions n’implique pas que la conscience toute entière ne soit qu’une illusion !

    3. Ceci m’amène à mon objection principale : affirmer que la conscience n’est qu’une illusion n’est-il pas contradictoire ? Qu’est-ce qu’une illusion, en effet, sinon une conscience qui se trompe sur elle-même, en prenant des phénomènes pour des objets extérieurs ? Au moment où Descartes dit « Je pense, donc je suis », il suppose que tout ce qu’il a pris jusqu’à présent pour une réalité objective, y compris son propre corps, n’est qu’une illusion, un rêve produit naturellement ou par un esprit maléfique. Mais – même en admettant que cette supposition soit vraie – l’illusion de Descartes n’est pas rien du tout ! Elle existe ! Et c’est une illusion doublement consciente. Elle est conscience au sens où elle se réfère à des pseudo-objets extérieurs (le corps, la table où Descartes écrit, le monde…). Elle est consciente aussi au sens où elle réfléchit à elle-même : c’est une illusion en train de se dissiper, en prenant conscience d’elle-même – une sorte de rêve lucide, un rêve paradoxal qui s’apparente à un état de veille. Bref, je ne vois pas très bien en quel sens M. Kammerer prétend qu’il n’y a pas réellement de conscience.

    Aimé par 1 personne

  4. Je modifie légèrement le début de ma troisième objection :

    N’est-il pas contradictoire d’affirmer que la conscience n’existe pas sous prétexte qu’elle n’est qu’une illusion ?

    J’aime

  5. Bonjour,
    En effet la juxtaposition des 2 vidéos est pour moi un terreau de questionnement.

    Je suis aussi revenu sur la démarche de Descartes. La fameuse proposition « Je pense, donc je suis » peu être déclinée en « j’ai mal, je suis » car « je ne peux me tromper quand je dis j’ai mal ».
    Et on peut formuler beaucoup de maximes totalement valides pour peu que le verbe derrière JE soit associé à quelque chose d’intime, non transférable à autrui.

    C’est aussi la limite que Descartes a essayé de contourner : si c’est « non transférable » comment savoir si je suis seul ou entouré d’individus ?
    Ou plus simplement : « comment déterminer qui a une conscience ou pas ? »

    Personnellement la posture qui accepte en même temps les 2 possibilités, même si elles sont opposées, me convient.
    Au désespoir de pouvoir trancher, faut faire avec la complexité.

    J’aime

  6. Salut Jordi,

    M. Phi a l’air d’être en vacances alors je vais essayer de répondre à tes questions de façon à ce que le propos illusionniste (que M. Kammerer présente) te paraisse plus crédible.

    Je vais prendre tes objections dans le désordre:

    2. Ton objection consiste à dire que ça n’est pas parce que la conscience contient des illusions qu’elle est elle-même une illusion. Tout à fait d’accord avec toi; mais ça n’est pas un argument illusionniste. Pour bien comprendre, il faut commencer par bien saisir le problème que l’illusionnisme tente de résoudre. Il faut tout d’abord distinguer la conscience d’accès de la conscience phénoménale. La conscience d’accès, c’est ce qui nous informe, c’est ce qui nous renseigne sur le monde, ce qui nous donne accès à lui. C’est cette conscience qui peut nous induire en erreur; lorsqu’on rêve par exemple, elle nous donne accès à des illusions qu’on peut tenir pour vraies. Mais l’illusionnisme ne doute pas de l’existence de cette conscience d’accès.

    Cette conscience d’accès, on pourrait même prêter à une machine intelligente puisqu’elle peut s’informer de l’état du monde et se rapporter à cette information pour agir. Mais contrairement à la machine, ma conscience d’accès s’accompagne toujours d’un vécu subjectif. Par exemple, lorsque je regarde un film, certes j’ai accès à des informations – je vois des choses, et j’ai accès à ce à quoi ces choses me renvoient -, mais cet accès s’accompagne d’un ressenti, d’un vécu, d’un qualia. Ça m’a fait quelque chose de voir ce film. Ça c’est la conscience phénoménale. C’est ce qui fait que ma conscience d’accès, qui me donne accès à la douleur en tant qu’information, se double systématiquement d’une douleur subjectivement vécue et dont je crois faire l’expérience.
    C’est de cette conscience qu’il s’agit lorsque l’illusionnisme affirme que la conscience est une illusion. Normalement, tu dois bien voir en quoi ton objection – qui consistait à dire qu’il était absurde d’éliminer la conscience en se fondant sur des données justement offertes par la conscience – n’est pas valable: il s’agit pour l’illusionnisme d’éliminer la conscience phénoménale, et non la conscience d’accès (qui elle offre des données). Maintenant, pourquoi penser un truc pareil?

    La conscience d’accès, c’est une fonction qu’on peut très bien programmer dans une machine. Pas de problème. Et c’est ce qu’on dit lorsqu’on affirme que l’esprit est computationnel. Il est semblable à un ordinateur (computer) très puissant. Mais quel genre de ligne de code pourrait programmer dans la machine une expérience subjective accompagnant ses calculs? La conscience phénoménale parait être d’une nature radicalement différente. Elle n’est pas fonctionnelle. Et c’est ce qui te mène à ta première objection.

    1. Des jugements sont déjà produits par des algorithmes qui reconnaissent des animaux par exemple, lorsqu’ils classent des photos. Ou bien lorsqu’ils choisissent la phrase la plus pertinente pour répondre à une question. Mais on a l’impression que les machines font leurs opérations dans le noir, bêtement, sans savoir vraiment ce qu’elles font. Ces opérations n’ont aucun sens, aucune signification pour elles. Et c’est ce qui t’amène (je crois) à établir un lien entre la conscience et le langage. Notre conscience nous donnerait accès à une forme de signification, à une compréhension authentique. Là on touche à un problème compliqué, énoncé par John Searle via son expérience de pensée de la chambre chinoise, et sur lequel je ne m’étends pas. Mais ça illustre bien le fait qu’il y a une sorte de hiatus explicatif entre un modèle computationnaliste et notre expérience subjective. Le problème est tellement difficile qu’il faut des hypothèse extraordinaires pour le résoudre.

    C’est là que l’illusionnisme intervient. L’idée c’est qu’au lieu d’expliquer l’existence de cette conscience phénoménale, l’illusionnisme explique pourquoi on est absolument certain d’avoir une conscience phénoménale. L’illusionnisme consiste à dire que si nous sommes certains que toutes nos expériences s’accompagnent d’un vécu subjectif, c’est parce qu’il y a une partie de notre cerveau qui a pour fonction de produire en nous cette certitude. Et ça c’est programmable dans une machine. Et c’est en ce sens que l’illusionnisme affirme que notre conscience phénoménale est une illusion.

    3. Tu as tout à fait raison d’insister sur le fait que dire qu’une chose est une illusion ne suffit pas à dire qu’elle n’existe pas; elle existe, en tant qu’illusion certes, mais elle existe. La conscience phénoménale existe, elle existe en tant qu’illusion permise par une fonction de ton cerveau qui consiste à générer en toi une certitude, celle qui consiste à dire que toutes tes expériences s’accompagnent d’un état subjectif mystérieux et indubitable pour toi. Alors ça parait complètement fou de nier que la conscience phénoménale existe (c’est notre seule certitude fondamentale); mais c’est un jugement qui est prévu par l’hypothèse illusionniste. Et elle a le mérite de résoudre le problème, même si c’est contre-intuitif. On pourrait dire que c’est la moins mauvaise réponse au Hard Problem de la conscience.

    J’espère que ça t’a aidé à trouver l’illusionnisme plus pertinent!

    J’aime

Laisser un commentaire